Par Le Temps - Publié le 30.11.2020
Rolando Grandi, le gérant du fonds sur L'intelligence artificielle de la Financière de L'Echiquier, se dit «un geek, un gainer, un millennial». Optimiste, il montre qu'avec le progrès technologique également, la destruction créatrice aura un effet positif sur l'emploi
La Financière de l’Echiquier est une société de gestion française créée en 1991avec aujourd’hui 10 milliards d’euros d’actifs sous gestion pour 130 collaborateurs. Boutique indépendante, elle dispose d’un bureau en Suisse. Spécialisée dans la gestion active, elle vient d’enregistrer en Suisse son fonds sur l’intelligence artificielle. Echiquier Artificial Intelligence. Le fonds a été lancé en 2018 et dispose de 600 millions d’euros d’encours.
Géré par Rolando Grandi, le produit a gagné plus de 90%en deux ans et demi et 60% en 2020. Le gérant s’exprime sur les perspectives et les défis de l’intelligence artificielle (IA), c’est-à-dire sur la capacité pour une machine à apprendre par elle-même, sur la concurrence entre les États-Unis et la Chine, sur ses idées d’investissements et sur l impact de l’IA sur l’emploi.
Dans la quête pour la suprématie mondiale, qui sortira gagnant de l'IA: la Chine ou les États-Unis ? Les deux. Nous allons vers un monde séparé par une Muraille de Chine technologique avec de plus en plus de divergences dans les technologies sous-jacentes.
Par exemple, les modes de paiement diffèrent déjà considérablement. Dans les économies occidentales, on emploie les cartes de débit et de crédit alors que l’Asie préfère le smartphone, la caméra et le QR code. En Chine, le renminbi papier a quasiment disparu des commerces. Les États-Unis sont toutefois mieux imprégnés par écosystème de l’innovation, du capital-risque aux start-up en passant parles grandes universités. La Chine a l’avantage démographique, celui de l’abondance des données et l’ambition. C’est aussi une population prête à adopter rapidement une innovation, à l’image de la télémédecine. Dans ce dernier domaine, les leaders sont Chinois.
Après la décision du gouvernement chinois de davantage réglementer Alibaba et la volonté de Washington de mieux contrôler les GAFA, est-ce la fin des géants technologiques chinois et américains ? Plusieurs facteurs sont à considérer. Sur le plan géopolitique, avec Donald Trump nous sommes entrés dans une guerre commerciale aux relents très technologiques. Les deux grandes puissances sont engagées dans une course technologique.
Quel est votre scénario ? Le gouvernement chinois veut signaler à ses géants la nécessité de suivre la voie tracée par l’État. Après Tencent en 2018 dans les jeux vidéo, ce mois-ci Alibaba a été montré du doigt par Pékin dans l ’e-commerce et dans le secteur financier. Mon scénario est celui d’une convergence d’intérêts entre ceux des géants irremplaçables et ceux du gouvernement. Le plan pour 2025 prévoit un fort développement des technologies de pointe, et le projet «Made in China 2030» veut rendre la Chine plus indépendante technologiquement.
L'IA supprimera entre 10 et 50% des emplois dans l'économie, selon les études. Quelle est votre estimation ? Je fais partie des optimistes, en droite ligne des effets historiques delà destruction créatrice imaginée par Schumpeter.. Des emplois seront supprimés, comme à chaque disruption. L’employabilité du conducteur de taxi ou du chauffeur routier va diminuer à cause des véhicules taxis et des camions autonomes. Mais, parallèlement, une gigantesque pénurie de développeurs et d’ingénieurs des données est en train d‘émerger. Des nouveaux métiers vont aussi se créer, par exemple dans la livraison à domicile et la santé. Il faut laisser à l ’économie la marge de manœuvre qui lui permettra de développer de nouveaux secteurs. Regardez l’aérospatial où une entreprise privée, SpaceX, a envoyé des astronautes dans l'espace.
Un chauffeur ne peut pas se transformer rapidement en un ingénieur. Que faire ? La technologie facilitera la transition. Airbus utilise la réalité augmentée afin de former des personnes qui n’ont pas fait d’études en mécanique pour effectuer des réparations. Ces employés sont dotés de limettes de réalité augmentée qui leur indiquent comment s’y prendre.
Quels titres préférez-vous dans l'IA ?Nous aimons beaucoup la société californienne Alteryx. C’est la plus grande position du fonds. L’entreprise effectue des tâches plus complexes qu‘elles ne paraissent, à savoir le nettoyage et la préparation des données qui seront ensuite utilisées par les algorithmes. Ce travail répétitif prenait auparavant 60% du temps d’un ingénieur des données. Alteryx libère donc du temps pour les ingénieurs.
Pourquoi vous ferais-je confiance pour gérer un fonds dans l'IA ? Ma formation est financière. Et depuis mon plus jeune âge je suis passionné de technologie, un geek, un gamer, un millennial. Une de mes premières photos d’enfance, à 18mois, me présente devant un ordinateur IBM dont l’écran était plus grand que moi. Mes plus beaux souvenirs d’enfance ont consisté à monter et démonter un ordinateur. L’étude de l’histoire m’aide aussi beaucoup à comprendre les développements actuels.
Est-ce que vous employez les mêmes critères d'évaluation que pour les industries traditionnelles ? Oui. je pense. Mais comme certaines sociétés font encore des pertes, nous les évaluons sur la base du chiffre d’affaires ou des bénéfices avant impôts et amortissements ainsi que sur leur dynamique de croissance
et leur potentiel sur le long terme.
Est-ce que l'intelligence artificielle (IA) est en train de se transformer en bulle financière ? Certains observateurs craignent de revivre la bulle internet de 1999. Je pense qu’au contraire, la situation de l’IA rappelle 1899 et le début de l’ère pétrolière. Malgré sa forte hausse cette année, nous sommes convaincus du fort potentiel de cette thématique. La gestion active, à l'inverse des ETF, nous permet de modifier les constituants et les pondérations pour générer un rendement à long terme. Ce que les ETF sur l’IA ne peuvent pas faire.
Dans quelles étapes de l'IA investissez-vous ? Nous investissons par exemple en fonction de la maturité de l’entreprise. Nous avons des actions Amazon et Microsoft, mais leur poids est mineur (2.5% du portefeuille chacune) parce que leur potentiel semble plus faible que celui d’autres sociétés. Nous considérons aussi le degré d’avancement de l'IA dans une branche d’activité. La pénétration du cloud computing, le segment qui nous plaît le plus dans les deux groupes précédemment cités, ne dépasse pas 25%. A notre avis, le cloud computing est l’industrie où se crée la véritable usine du XXIe siècle. C'est là que sont stockées les données et c’est l’endroit où l ’on fait travailler les algorithmes pour développer l'autoapprentissage intelligent.
Quelle diversification envisagez-vous ? Nous investissons dans des petites sociétés, comme Lemonade, avec une capitalisation de 4 milliards, qui est en passe de révolutionner l’assurance. Nous aimons aussi des géants des logiciels comme Nvidia, dans les puces graphiques.
Avec la révolution de l’IA, un nouvel écosystème se met en place dans d’innombrables pays et de nombreux secteurs. Je pense aussi au japonais Fanuc, dans les robots industriels intelligents.
Est-ce que l'Europe comporte aussi des sociétés phares dans l'IA ? Notre préférée en Europe à ce jour est anglaise, Blue Prism, un des trois leaders mondiaux dans l’une des applications les plus avancées de l’automatisation des tâches manuelles de bureaux (lecture de factures, de contrats). Elle fabrique des robots numériques afin de libérer du temps pour les salariés. C’est une pépite européenne, avec une croissance de plus de 40% l’année de la pandémie.
Est-ce que la moindre protection des données privées est un atout clé pour la Chine ? En Chine, la protection de la vie privée joue un moindre rôle qu’ailleurs, mais les entreprises communiquent toutefois déplus en plus clairement leur politique en matière de gestion des données. Le régulateur exige aussi une grande précaution dans la monétisation de celles-ci. Ce souci accru dans la gestion prudente des données, de la part des entreprises et du régulateur, est un facteur positif pour le développement de l’AI.
Est-ce que la finance est en retard dans l'IA, si l'on considère l'évaluation très sommaire du profil de risque de l'investisseur de la part des conseillers robots ? L'adoption grandissante de l’IA améliorera effectivement l’évaluation du profil de risque. En Chine, où la finance est l’un des plus grands secteurs d’activité économique, les progrès de la numérisation sont majeurs. Dans l’évaluation du risque d’un crédit bancaire, l’établissement bancaire coopère avec Alipay ou Tencent Pay pour évaluer les habitudes de consommation du client ainsi que la fréquence d’entrées et de retraits de fonds. OneConnect, qui appartient à Ping An, développe ce type d’applications. En Europe et aux États-Unis, les banques n’ont encore qu’une vision partielle du profil de risque en raison de la multiplication des applications.
Comment cette transformation touchera-t-elle l'éducation ? Beaucoup d’individus suivent la même formation, les mêmes exercices, alors que chacun apprend à un rythme différent. L’IA adaptera la façon dont on apprend pour le profit de tous. Un groupe tel que Microsoft, avec ses projets dans la réalité virtuelle, est bien placé dans ce domaine, ou le groupe chinois TAL Education. qui fait du tutorat et aide l’élève à combler ses lacunes hors des cours scolaires.
Est-ce qu'il faut investir dans les sociétés qui promettent le plus de rêve possible, par exemple dans les derniers progrès de reconnaissance visuelle et vocale ? Les grands disrupteurs sont les entreprises qui vous font rêver et offrent de nouveaux débouchés. C’est le dilemme de l’innovateur présenté par Clayton Christensen, professeur à Harvard, dans son livre The Innovator’s Dilemma (1997) et qui montre que l’innovation s’adresse souvent à des besoins qui ne sont pas couverts et que l'on n’attend pas. Un jour, quand vous entrerez dans un bureau, l’algorithme saura que vous préférez une température plus élevée et s’adaptera immédiatement. En tant qu’investisseur, nous devons équilibrer le portefeuille entre les sociétés bien établies et d’autres plus risquées mais très innovant es,connue Pinduoduo, dans l’e-commerce qui, après Google, a été la deuxième dans l’histoire à franchir la barre des 100 milliards de
capitalisation.
On assiste à un changement de tendance entre les titres «value»et «growth». Est-ce qu'il y a des actions cycliques ou «value» dans l'IA ? Non. car il serait étonnant qu’une société de l’IA soit sans croissance, classée dans les value, alors que l’IA est une forte opportunité de croissance. Notre univers d’investissement est composé de 150 sociétés internationales enforte croissance. Mais ily a des entreprises cycliques dans notre univers. comme Fanuc dans la robotique : les trois quarts de la demande viennent de l’automobile, des semi-conducteurs et de l’électronique, lesquels sont plus cycliques que le cloud. Beaucoup des sociétés de l’IA qui ont bénéficié du confinement et de l’adoption presque forcée d’outils de numérisation n'ont pas subi un effet d’aubaine. La pandémie a été un véritable accélérateur de leur produit. Le marché va le comprendre à la présentation des résultats. L’année 2020 n ’a pas été un feu de paille pour ces entreprises, mais le plus grand accélérateur dans l’histoire de la numérisation et de l’IA. Le plus compliqué n’est pas. en effet, de développer desnouvelles solutions mais deles faire adopter, du streaming aux solutions de cybersécurité basées sur le cloud.
Contactez-nous !
Egalement par téléphone au 0 800 881 888 du lundi au vendredi de 8h30 à 18h30 (appel gratuit depuis un poste fixe).